Droit d’auteur en architecture, droit à l’image et liberté de panorama

Le site Façades de Nice a réalisé un travail appréciable d’inventaire et de photographie de compilation de l’architecture de la ville de Nice.

Ils offrent également des visites guidées et proposent des reproductions de leurs photographies. Plus récemment, ce site a décidé de contribuer à la Wikipédia francophone en réalisant une liste de ces façades et par là, à Wikimedia Commons, en mettant des photographies des façades correspondant à des bâtiments notables sous licence Creative Commons.

La France ne disposant pas de la liberté de panorama, une exception au droit d’auteur autorisant généralement la reproduction de bâtiments et d’œuvres installées de façon permanente dans l’espace public, il n’est guère possible de reproduire sans l’accord de l’ayant-droit, en principe l’architecte, des photographies de façades dont l’architecte n’est pas décédé depuis plus de 70 ans (régime habituel du droit d’auteur).

[Mise à jour. La loi du 7 octobre 2016 a amendé le code de propriété intellectuelle suite à une initiative du législateur pour inclure cette exception. Toutefois, cet article interdisant « l’exploitation commerciale » des photographies, a priori pour satisfaire à la demande de journalistes de presse, qui souhaitent garder un certain monopole de leur métier, et aux pressions de l’ADAGP, une société de collecte de droits d’auteur, cette exception n’est guère d’aucune utilité, tant l’interprétation de l’exploitation commerciale est large. Ainsi, une mise à disposition sous licence libre, autorisant par là tout usage, est incompatible avec cette loi.]

Wikimedia Commons respectant le droit d’auteur du pays source des photos et celui des États-Unis, les fichiers sont dès lors supprimés.

Par mail, je reçois alors du responsable de ce site  un argument intéressant : celui que le droit à l’image d’un bâtiment pourrait appartenir au propriétaire de l’immeuble, cet article à l’appui. Il ajoute également l’idée selon laquelle « l’architecte ne fait que les plan et que le chef de chantier, les maçons, les mouleurs et les peintres en apporte le maximum le l’aspect extérieur ».

Clarifions donc les choses sur comment s’appliquent en l’espèce d’une part le droit d’auteur, d’autre part le droit à l’image, qui sont deux chose différentes, pour les bâtiments récents.

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Droit à l’image

Le droit à l’image est une construction de jurisprudence dérivée avant tout du droit au respect de la vie privée (je n’aborde pas dans cet article le cas particulier de la négociation patrimoniale du droit à l’image des personnes publiques), qui va trouver un certain écho en matière immobilière devant les tribunaux français.

Le propriétaire d’une chose dispose d’un droit à l’image partiel lui permettant de s’opposer à la représentation lorsque celle-ci lui cause un trouble anormal,  d’après Cass. (aud. plén.), 7 mai 2004. Cet arrêt de cassation fait suite à une série de solutions différentes apportées par les cours et tribunaux, dont cet article retrace un bref panorama.

Il est plausible que par extension, ce droit de s’opposer à la représentation en cas de trouble anormal s’applique également à l’ensemble des personnes jouissant d’un bien : l’usufruitier, l’occupant légitime d’un lieu (le locataire disposant d’un contrat de bail).

II resterait même cohérent de faire valoir ce droit tout simplement à la personne exerçant un droit au logement sur un bien immobilier (un membre de la famille d’un locataire décédé ne reprenant pas le contrat de bail en attente d’un autre logement, un squatteur), tant la cour de cassation semble vouloir ici non pas affirmer un droit au propriétaire d’une chose mais une circonstance où l’utilisateur d’une chose peut se protéger contre un trouble anormal de jouissance.

Si cette hypothèse se vérifiait, nous sortirions clairement du lien propriété <–> droit à l’image pour entrer dans celui utilisation <–> droit à l’image, l’utilisation naissant ici du droit au logement.

S’il peut s’y opposer, il ne peut l’autoriser : ce droit à l’image permet dans des cas très précis de s’opposer à la représentation d’un bien, mais non d’enfreindre le droit d’auteur de l’architecte.

Attention, contrairement au raisonnement suggéré par le responsable du site Façades de Nice la cour de cassation n’a pas émis ce raisonnement de par la présence d’autres intervenants que l’architecte (cf. infra sur ce point), mais parce que des tribunaux, suivis par des cours d’appel, avaient conférés au propriétaire d’une chose des droits non prévus par la loi.

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Le droit d’auteur naît du simple fait de créer une oeuvre. Nul ne conteste qu’en droit français, du simple fait de concevoir l’oeuvre, ne fût-ce que sur plan, l’architecte est l’auteur de l’oeuvre architecturale.

L’hypothèse avancée par Façades de Nice selon laquelle « l’architecte ne fait que les plan et que le chef de chantier, les maçons, les mouleurs et les peintres en apporte le maximum le l’aspect extérieur » n’est pas suivie par la jurisprudence, à l’exception des œuvres distinctes et incorporées, comme la réalisation de sculptures, qui donne alors un droit d’auteur au sculpteur. Remarquons que si cette hypothèse était, il conviendrait de devoir négocier les droits avec l’ensemble   ces personnes, chacune serait en effet alors titulaire de droits. Le droit d’auteur ne s’efface en effet pas devant la pluralité des auteurs, un régime particulier est prévu pour les œuvres collectives.

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En résumé

Deux droits distincts s’appliquent :

  • de par le droit d’auteur, l’architecte voit son oeuvre protégée, et doit autoriser la représentation ;
  • de par le droit à l’image, le propriétaire peut s’opposer à la s’il justifie d’un trouble anormal.

3 Replies to “Droit d’auteur en architecture, droit à l’image et liberté de panorama”

  1. je suis entraîne de préparer une thèse de doctorat sur la protection des œuvres de bâtiment par le droit d’auteur et je cherche des documents concernant ce thème(article-livres,…), merci beaucoup de m’aider, merci.

  2. l’exception légale donnée par loi donne aux autres de reproduire l’oeuvre (édifice) trouvant en permanente dans le lieux publics

    1. Oui, cette exception légale est appelée « liberté de panorama » par la doctrine.

      Wikimedia Commons maintient à jour une carte des pays du monde où cette exception existe.

      Elle vient d’être adoptée cet été en Belgique (loi du 27 juin 2016 modifiant le Code de droit économique en vue de l’introduction de la liberté de panorama) (code de droit économique, art. XI.190, 2/1°).

      La France en a discuté, mais ne l’a toujours pas adopté — à la place, elle a adopté une exception autorisant un usage non commercial : « Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : […] 11° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial. » (code de la propriété intellectuelle, art. L122-5). Ici, ce caractère non commercial exclut par exemple l’utilisation sur une publication sous licence libre qui autoriserait toute usage, y compris commercial. C’est par exemple le cas de Wikipédia qui ne pourra jouir de cette exception.

      Hors de l’Union Européenne, la mesure se retrouve également. Ainsi, en Algérie : « Est considérée licite sans autorisation de l’auteur ni rémunération, la reproduction ou la communication au public d’une œuvre d’architecture ou des beaux arts, d’une œuvre des arts appliqués ou d’une œuvre photographique lorsqu’elle est située en permanence dans un lieu public, à l’exception des galeries d’art, musées et sites culturels et naturels classés. » (ordonnance n° 97-10 du 27 Chaoual 1417 correspondant au 6 mars 1997 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins, art. 51). Cette disposition est une vraie liberté de panorama, sans restriction à usage non commercial comme en France.

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